top of page
Elline

Barracoon, Histoire du dernier esclave américain


BARRACOON, Zora Neale Hurston, JC Lattès

Cudjo Lewis, est un homme qui a eu une vie compliquée, ponctuée de séparations et de tristesse.

Mais quand Zora Neale Hurston le rencontre, elle voit un vieil homme fumant sa pipe sous son porche et regardant avec tendresse ces petits enfants.

Qui se douterait que cet homme a été un des rares témoins et victimes encore en vie, des dernières cargaisons d’esclaves qui ont eu lieu au XIXème siècle.

Sa famille massacrée, son village détruit, Cudjo est forcé à vivre des mois dans un barracoon, pour finalement être choisi au dernier moment pour partir avec la dernière cargaison d’esclave.

Loin de son pays, au milieu de personnes qui n’ont aucune considération pour lui, heureusement son calvaire n’a duré que 5 années.

Mais la chute a été difficile après, quand il a compris que jamais il ne rentrerait dans son pays. L’Amérique deviendra sa maison, il n’a pas le choix, mais il espère quand même pouvoir un jour, retourner en terre d’Afrique…

Zora Neale Hurston est écrivaine, anthropologiste spécialisée dans le folklore afro-américain et caribéen. Ce récit est le résultat de longs entretiens avec Cudjo Lewis et le fruit de nombreuses recherches pour recouper les faits entre eux. Même si il y a eu des erreurs, qui nous sont indiquées par l’éditeur, le travail est de qualité et mérite d’être plus reconnu.

Prêt pour l’Histoire ?

Amateurs de mots, bonjour, savez-vous ce que signifie barracoon ? Il s’agit d’une caserne, d’un baraquement près des ports africains, qui contenait les esclaves prêts à partir pour l’Europe ou les Etats-Unis. Ils pouvaient rester entassés dans ces baraquements pendant plusieurs mois avant leur départ.

L’esclavage, on connaît tous le mot, on connaît tous ce fameux commerce triangulaire, ces bateaux chargés d’êtres humains ou encore les débats et traités abolitionnistes qui ont suivi. Mais il faut se l’avouer, les programmes scolaires aiment minimiser les événements quand ils ne sont pas glorieux pour notre pays, ou plus généralement pour l’histoire de l’humanité. Oui, connaître la date de l’abolition de l’esclavage c’est important, ou les estimations de population arrachées à leur pays. Mais l’histoire, c’est avant tout protéger la mémoire, faire parler ceux qui ne parlent plus, comprendre ce qu’il s’est passé et dans la mesure du possible apprendre de nos erreurs.

C’est dans cette optique d’apprentissage que j’ai toujours appréhender mon rapport à l’histoire. Les cours n’étant jamais, à mon avis, le reflet de ce que l’on devrait étudier, je n’ai pas hésité à apprendre moi-même. Et j’ai toujours trouvé que les témoignages peuvent s’avérer être des récits intéressants pour compléter les événements ou particularités d’une époque. Il faut bien évidemment rester objectif, le récit d’un homme n’est lié qu’à sa seule parole, mais le travail d’un bon historien est justement de récolter ces témoignages pour recouper les informations entre elles au mieux et reconstituer l’histoire, c’est ce qu’a voulu faire l’auteur.

Dès le départ, le livre remet les choses en place, l’esclavage, de la capture à l’exploitation des Hommes est le résultat de plusieurs faits : les européens et les américains en demande de mains d’œuvre, et les prisonniers de guerre issues de différentes tribus et ethnies. Comme pendant l’Antiquité, il était malheureusement courant que le peuple vaincu soit tué ou réduit en esclavage par le peuple vainqueur. Et cela a perduré, pendant des siècles, mais au XIXème siècle, après la Révolution, les modes de pensées évoluent et si les pays européens rejettent en bloc un à un l’esclavage sur leur territoire, les Etats-Unis, à l’époque de notre protagoniste ne se sont pas encore décidés.

Kossola-O-Loo-Ay

Cudjo Lewis (Kossola-O-Lo-Loo-Ay), est un des derniers survivants, lorsque Nora Z. Hurston le rencontre, du dernier bateau arrivé aux Etats Unis. Et tout le livre est imprégné de la douleur, de la déchirure profonde qu’il a subie en étant arraché à son pays et en perdant pendant quelques temps son statut d’Homme. Sa vie n’est qu’une succession de séparation.

Les choses sont écrites avec beaucoup de recul, il n’y a pas de côté fan fiction, mais plutôt documentaire, observateur je trouve. Charlotte Mason, et Zora Neal Hudson ont été les observatrices de la vie de cet homme et les dépositaires de son témoignage, elles ont été même jusqu’à subvenir à ses besoins, à la fois cela a permis d’instaurer une relation de confiance, et en même temps elles n’ont pas complètement pu garder leurs distances avec Cudjo. Leur récit reste-t’il objectif, ça ne l’est jamais vraiment, on sent une sincérité dans l’écriture, particulièrement dans la restitution du franc parlé de Cudjo et pour moi, c’est le plus important.

On découvre la vie de cet homme, son enfance sur ces terres. Car mis à part l’esclavage, la première partie du récit nous apprend beaucoup de choses sur les ethnies africaines, la culture, les noms, les fondements de la société, les rapports hommes/femmes, les rituels de l’âge adulte et même la justice. A ce propos, la sanction pour avoir tué un homme… terriblement efficace dans son impact moral. Les amazones du Dahomey faisaient partie de l’Afrique de l’époque, car tout le monde redoutait ces impitoyables guerrières.

Les tribus elles-mêmes n’étaient pas contre ces pratiques qui participaient à la démonstration des rapports de force locaux entre différentes ethnies. On nous explique que l’Afrique de l’Ouest était régulièrement le territoire de massacres et guerres incessantes entre les clans.

Dans ce qui est raconté, peu en est dit sur ses compagnons de voyage, sur ce qu’il s’est passé durant ces années d’esclavage, il raconte ce qu’il a envie de raconter, et ce dont il se souvient. On ressent généralement une forte incompréhension, pourquoi on nous traite comme cela, pourquoi on doit prendre un bateau… Et quand ils arrivent tous en Amérique, et rencontrent des esclaves, ils sont rejetés une nouvelle fois. Imaginer que pour les générations d’esclaves natifs des Amériques, pour eux les africains fraîchement arrivés ne sont que des barbares, avec un parler bien étrange, et ils ont pour beaucoup oublié leurs anciennes traditions.

L’envie de retourner chez lui, restera toute sa vie, mais malheureusement le billet de retour sera toujours hors de sa portée. Et après la vie continue, évolue, le mariage arrive, les enfants et là il n’est plus question de partir. Malgré ce qu’on lui a fait subir, il est bien décidé à vivre sur ces terres et avec ses compagnons, ils vont batailler pour demander à ce qu’on leur cède les terres dont ils ont besoin pour vivre et fonder leur ville « Africa Town », une communauté d’africains qui conservent leurs traditions, leurs croyances tout en se convertissant au christianisme. Malgré tout, la déchirure avec ses racines est profonde et ne l’a jamais vraiment quittée. Alors, homme affranchi, veuf, loin de son pays et des siens… n’a-t-il jamais vraiment été libre depuis qu’il est sur le sol américain ?

Cudjo est un véritable conteur, et parfois il préfère raconter des contes et des histoires au lieu de parler de lui et de sa vie. Mais j’apprécie ce côté authentique chez lui, son franc parler, ses blessures, sa façon d’aborder la vie malgré tout ce qui lui est arrivé, car vous pouvez me croire, l’esclavage n’a pas été la seule épreuve qu’il a eu à subir. Un témoignage précieux et bouleversant, que j’ai particulièrement adoré, un coup de cœur 10/10.

Barracoon, Histoire du dernier esclave américain, Zora Neale Hurston, J.C. LATTES, 2019

43 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Vous avez deux fenêtres de commentaires une, ci dessus, liée à la nouvelle modification du blog.

La seconde est une ancienne application, sur laquelle vous avez déjà écrit d'anciens commentaires.

Merci de privilégier le nouveau mode de commentaire, bonne lecture

bottom of page